Liang

Liang

– ARCHITECTE

1989

 

8H30

La sonnerie de mon téléphone portable met un terme à un rêve déjà envolé. Je me déshabille, met une serviette autour de la taille et me dirige vers les toilettes. Avant cela, je pars réveiller Liang, dans la chambre d’à côté. Son portable sonne également, sans que cela ait un effet quelconque sur son profond sommeil. J’entre dans une chambre moite, baignée dans une sueur ambiante. Son lit semble ridiculement petit à côté de l’imposant gonflement de son ventre. Il ouvre les yeux et me dit bonjour, en remettant ses lunettes.

 

9H10

Tout son visage est perlé de gouttes. Il remonte péniblement un short de basket-ball qui lui sert de pyjama, en prenant soin de le tirer jusqu’au niveau de son torse. Il me fait savoir qu’il n’a pas eu le temps de prendre une douche depuis trois jours. L’eau coule mais ne peut cacher alors une toux extrêmement grasse et des épais crachats à répétition.

 

9H45

Liang marche à une faible allure, les jambes bien en avant et balançant fortement les bras à chaque pas. Un peu mal fagoté, il tente de remettre proprement ses habits en marchant.

 

11H20

Le bureau de Liang est juste en face du mien. Entre nous deux, on a déposé un double drapeau miniature ; on y voit les couleurs respectives de la France et de la Chine. Nos deux emplacements de travail sont équipés des mêmes ordinateurs âgés de plus de dix ans et de quelques plans imprimés sur du papier bleu. Liang nage dans les cartouches de cigarettes et les verres de thé à moitié vides.

 

13H30

Il s’est assoupit sur son clavier. Ses propres ronflements le gênent. Il se réveille et penche la tête pour me faire un signe en direction du couloir. Liang me propose encore une cigarette. Nous sortons du bâtiment et il m’invite à monter dans sa voiture. Il se déplace très souvent dans cette japonaise qu’il a pris soin d’aménager comme on aménage son intérieur. Les sièges sont recouverts d’un tissu de protection beige à dentelle. Quelques grigris rouges sont accrochés au rétroviseur.

 

14H05

Nous passons le portail de l’université et nous sortons. Il klaxonne à plusieurs reprises, force le passage et attire l’attention d’un agent de police qui l’interpelle. Nous nous arrêtons et il ouvre sa fenêtre pour communiquer avec l’agent. Il va perdre un point et qu’il devra payer neuf-cents yuans. Après un temps de réflexion, Liang rétorque en négociant sa peine : pas de point en moins et seulement cinq-cents yuans d’amende. Il tend l’argent à l’agent, qui accepte.

 

14H30

La salle de la cantine est immense. Une gigantesque banderole rouge est tendue entre les deux mezzanines. Des oiseaux ont fait leurs nids dans la structure de métal portant le toit. Liang demande trois rations de riz. J’en demande une. Nous choisissons ensemble les viandes et les légumes à mettre dedans ; il prendra une soupe de viande en plus. A la moitié du repas, Liang fume et me propose une cigarette. Nous terminons de manger.

 

18H50

Liang se lève brutalement de sa chaise et bouscule des étudiants pour venir accueillir des clients. Il leur montre le drapeau franco-chinois et vante les mérites de ma présence dans l’agence. Il me fait signe d’aller me rassoir, comme si ma présence était gênante. Liang se tient debout et ne semble pas pouvoir prendre part à la discussion. Il tourne autour de la table, en attendant que le professeur l’interpelle pour une quelconque tâche. Tour à tour, il fera bouillir de l’eau, apportera du thé, allumera un ordinateur, offrira des noisettes puis resaluera les clients qui n’auront pas pu connaitre le son de sa voix.

 

21H40

Le concierge entre dans le bureau, un balai à la main et nous demande de partir pour fermer le bâtiment. Nous revoilà quelques minutes plus tard, traversant la ville dans la japonaise à dentelles.

 

22H40

Je marche avec Liang dans de très petites rues. Il y a beaucoup d’animation. Nous entrons dans un karaoké. Il sert la main du patron qui nous dirige vers une salle fermée. La salle est trop grande pour nous deux. Elle comporte une petite table, un canapé et un grand écran sur lequel défilent les chansons. Liang m’invite à en choisir une pendant qu’il sort de la pièce.

 

23H25

Il revient avec le patron et deux filles qui me sont inconnues. Liang les regarde pendant un instant et fait un signe de refus au patron. Il ramène alors deux nouvelles filles et Liang les accepte. Nous buvons beaucoup. Liang tente de l’embrasser. Sa chemise est déboutonnée laissant entrevoir une rivière de sueur sur ce corps gonflé. Je n’ose passer mon bras autour de la fille que l’on m’a désignée. Elle se contente de me servir de la bière et de m’offrir des cacahuètes. Gêné, je demande à Liang de partir. Les filles nous suivent. Nous mangeons des brochettes dans la rue. Je me demande quel âge elles ont et dit à Liang qu’il ne devrait plus m’amener dans cet endroit. Il me dit que c’est le seul moyen pour lui de connaître des filles. Je lui dis qu’il y a surement d’autres moyens.

Il ne répond pas et me propose une dernière cigarette.

 

 

Thomas Batzenschlager